Quelques considérations relatives à l’article pour GEGEurope de Jessy Périé et Gabriel Solans : L’Indo-Pacifique, de Tôkyô à Washington”
Voici un développement d'une très grande qualité consacré à l'évolution récente du monde asiatique, qui se singularise à la fois par la forme que par le fond.
Par la forme, parce qu'il s'abstrait de la moindre tentation de transformer la réalité des faits en éducation du lecteur comme le font allègrement un trop grand nombre de journalistes qui oublient la déontologie de leur profession et se prennent désormais pour les instituteurs du peuple.
On y trouve donc une neutralité du regard qui fait plaisir à voir et permet au lecteur de se faire lui-même une opinion, une liberté aujourd'hui de plus en plus exceptionnelle et rare.
Par le fond, car elle montre parfaitement et selon des angles différents et passionnants les évolutions des rapports de force et d'influence en Asie.
Que peut-on en déduire selon une interprétation à la fois éminemment subjective et personnelle ?
La première observation, c'est que l'Europe, qui a découvert l'Asie lointaine et qui a si longtemps exercé une influence majeure, y est désormais quasiment absente.
La France, par exemple, anciennement présente en Asie du Sud-Est a disparu des radars et on cherche en vain dans les rues de Saigon ou d'Hanoi par exemple les automobiles Peugeot qui trônent dans quelques rares concessions luxueuses, mais vides d'acheteurs.
Ce qui ressort en creux de cette analyse, c'est la lutte entre quatre acteurs principaux de poids inégaux : États-Unis, Chine, Inde et Japon.
De poids inégaux, mais surtout d'indépendances inégales.
En réalité, cette lutte à quatre cache un bras de fer à deux : celui qui oppose toujours davantage les États-Unis d'Amérique et la Chine.
En effet, le Japon est dans la même situation que l'Allemagne en Europe, mais aussi la Grande-Bretagne et désormais aussi la France, et donc toute l'Europe dans son ensemble, sauf la Russie, de Brest à sa frontière ouest : elle dépend entièrement du bon vouloir de l'Amérique
L'Inde, quant à elle, est plus libre de ses actions, mais se voit poussée inexorablement vers les Etats-Unis par ses relations conflictuelles à la fois avec le Pakistan et la Chine.
Tant et si bien que l'on retrouve en fait en Asie deux acteurs essentiels.
Le premier, les États-Unis, qui, de part leur victoire sur le Japon, se sont installés, quand ils ne se sont pas attribué des territoires, par le biais de bases militaires, sur l'ensemble de l'Asie de l'Est et du Sud-Est, de la Thaïlande à l'Indonésie, des Philippines au Japon et à la Corée, sans parler de la multitude d'îlots perdus au sein du Pacifique.
Le second, la Chine, première puissance économique du monde pendant des siècles, humiliée par la présence des Européens, des Japonais et de fait des Américains à la fin du XIXe siècle profitant de sa faiblesse passagère, et qui a retrouvé toute la sève et l'ardeur de sa jeunesse, en dépit de son passé millénaire.
Une Chine qui, face à l'agitation juvénile du cow-boy américain, a pour elle le temps que lui accorde la sagesse de la maturité et qui, pas à pas, jour après jour, rétablit son emprise sur ce continent de la lointaine Asie où elle fut toujours prédominante, tant au niveau culturel que politique.
Face à la stratégie indo-pacifique établie par les alliés des États-Unis, Japon en tête, la Chine avance toujours ses pions silencieusement et fermement.
En réalité, les États-Unis ont pris conscience, même et peut-être surtout les États-Unis du Président Trump, qu'ils ne pouvaient plus aujourd'hui affirmer leur pouvoir absolu en Asie comme dans le reste du monde, comme ils l'ont fait depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le Japon, comme l'Allemagne en Europe, le ressent et s'inquiète, à juste titre, d'une telle évolution inexorable et cherche, sous le parapluie militaire de Washington, à bâtir cette alliance indo-pacifique.
Toutefois, tant que le Japon, comme la Corée d'ailleurs, une fois réunifiée, n'auront pas retrouvé leur pleine et totale indépendance, et d'abord militaire, on peut prévoir sans ambiguïté, que la puissance chinoise continuera à progresser aux dépens des principales autres nations asiatiques.
Mais la question peut se poser de savoir si la Pax Sinica ne vaut pas davantage en Asie que la Pax Americana ?
Sauf à penser que la Pax Romana, pas plus que la Pax Britannica ou la Pax Americana ne sont des facteurs de paix que si elles permettent aux peuples qu'elles abritent de jouir d'une réelle liberté.
Ce qui peut être le cas au début de règne.
Rarement ensuite.
On a vu ce qu'ont donné en Europe les "Lumières" de la Révolution apportées malgré lui par Napoléon Bonaparte et ses soldats à ses voisins dans l'obscurité.
Schiller et bien d'autres y ont montré bien peu d'enthousiasme, préférant leur liberté à celle que les autres leur apportaient !
Un parallèle qu'on pourrait facilement transplanter à l'Europe d'aujourd'hui, encore sous la domination de la Pax Americana et de la Pax Unionis Europaeae.
Mais tous les jours un peu moins.