Union européenne ou Désunion européenne ? Pourquoi l'Europe est-elle toujours divisée par des murs d'incompréhension ?

Publié le par Alain Renaud

 

L’Europe devrait être une dans toute sa diversité qui en fait son incomparable richesse.

En 2019, elle est plus divisée que jamais en dépit de l’existence de l’Union européenne.

Plus encore l’Union européenne en porte de moins en moins le nom s’apparentant de jour en jour à ce qui est une Désunion européenne.

Désunion au sein de l’Union européenne, mais aussi désunion entre pays membres de l’Union européenne et pays d’Europe n’appartenant pas à l’Union européenne.

Au sein de l’Union européenne, le fossé entre certains pays d’Europe de l’Ouest eux-mêmes et entre ceux-ci et un très grand nombre de nations d’Europe centrale et orientale semble s’élargir chaque jour davantage.

Entre certains pays d’Europe de l’Ouest, c’est-à-dire d’une part essentiellement l’Allemagne, la France et l’Espagne et d’autre part l’Italie et la Grande-Bretagne, sans parler des révoltes de nations non reconnues pour ce qu’elles sont comme la Catalogne hispanique.

Mais aussi entre ce fragile triumvirat germano-franco-hispanique et des pays du centre de l’Europe membres également de l’UE comme l’Autriche, la République tchèque, la Pologne, la Hongrie, mais aussi la Slovénie, la Slovaquie, la Bulgarie ou la Roumanie.

Encore faudrait-il ne pas regarder de trop près tous les sujets d’incompréhension entre la France, l’Allemagne et l’Espagne.

Désunion au sein de l’Union européenne, mais aussi désunion entre ces trois pays et un certain nombre d’autres pays européens telle que la Suisse, la Serbie et bien entendu la Russie.

Le mur de Berlin n’existe plus, le “rideau de fer”, expression inventée par Winston Churchill, qui s’était abattu en son centre sur toute l’Europe en la divisant en deux parties pas davantage.

Mais ce mur matériel s’est aujourd’hui transformé et multiplié.

Il s’est transformé, car de physique il est devenu psychique.

Il s’est multiplié, parce qu’il ne coupe plus l’Europe en deux, mais en morceaux.

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  • France et Allemagne

L’incompréhension entre la France et l’Allemagne est certes une constance de différenciation de vision du monde dont les origines historiques sont multiséculaires et qu’avait déjà rappelée en son temps la très fine psychologue qu’était Madame de Staël dans son remarquable ouvrage “De l’Allemagne”.

Mais elle s’est accentuée tristement d’abord avec la renaissance de ce pays à partir de l’ère bismarckienne suivie de l’horreur hitlérienne et enfin de par les conséquences innombrables de la bi-domination américaine et soviétique sur un peuple coupé en deux par des puissances étrangères uniquement préoccupées par la diffusion de leurs idéologies respectives.

L’implosion de l’Union soviétique a mis fin à la domination russe, mais non pas à celle des États-Unis, si bien que l’Allemagne reste le pays d’Europe qui, dans toutes les composantes de sa population, est le plus américanisée comme Régis Debray l’a magnifiquement démontré dans son ouvrage “Civilisation. Comment nous sommes devenus américains” qui ne pouvait avoir qu’un succès d’estime, les choses étant ce qu’elles sont.

Certes, la France a encore parfois quelque relent d’orgueil et de soif de liberté qui proviennent de la parenthèse unique qu’apporta Charles de Gaulle après-guerre et de 1958 à 1969 et que l’Allemagne n’a jamais connu depuis son écrasement si bien que son sentiment de culpabilité et de honte est, en dépit des conséquences innombrables de la décolonisation, moins puissant qu’en Allemagne.

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  • Grande-Bretagne et Italie

La Grande-Bretagne, pour sa part, vainqueur de la Seconde Guerre mondiale sous l’aile des États-Unis, échappe à ces considérations mentales, ce qui explique en grande partie son attitude vis-à-vis de l’Union européenne et des autres nations d’Europe.

L’Italie sous-estimée par ses partenaires qui voient plus en elle l’alliée peu fiable que l’incomparable source de création artistique ressent profondément en elle-même ce mépris caché, mais néanmoins réel à son égard.

Mais l’incompréhension entre les mentalités des Européens s’est creusée encore davantage dangereusement entre l’ouest et l’est de l’Europe.

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  • Pays d’Europe de l’Est membres de l’Union européenne

En particulier entre la France et l’Allemagne d’une part et presque tous les pays dits de l’Est qui ont adhéré à l’UE d’autre part.

Ces pays qui continuent à craindre une Russie qui n’est pourtant plus l’Union soviétique.

Des pays qui restent traumatisés par leur malheur passé, par cette prison stalinienne qui s’acharnait à vouloir détruire leur identité, leur liberté, leur spécificité, leur diversité.

Et c’est ce que ne comprennent pas certains Européens de l’Ouest qui, sous influence américaine, ne voient plus dans les peuples, dans les nations, dans les cultures spécifiques que les symptômes de la menace fasciste.

Tant et si bien que les pays d’Europe occidentale, sous influence politique, économique et surtout culturelle depuis la Seconde Guerre mondiale, condamnent ces pays de l’Est européen qui s’appuient sur leurs identités historiques que les Soviétiques avaient voulu détruire en leur reprochant de ne pas partager tous les idéaux de la société américaine, “l’American dream” dont la première valeur, déjà mise en exergue par Alexis de Tocqueville dans son ouvrage devenu célèbre “De la Démocratie en Amérique”, est la richesse :

« La passion profonde, la seule qui remue profondément le coeur humain, la passion de tous les jours, c’est l’acquisition de richesses. […] Aux États-Unis, dès qu’un citoyen a quelques lumières et quelques ressources, il cherche à s’enrichir dans le commerce et l’industrie ».

Ce mur entre valeurs radicalement opposées sépare désormais l’Union européenne en deux mondes qui sont incapables de se comprendre et se rajoute aux différences précédentes entre ces pays d’Europe de l’Ouest que sont la France, l’Allemagne, la Grande-Bretagne et l’Italie principalement.

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  • Pays d’Europe centrale

À ces murs entre pays d’Europe de l’Ouest, entre ces derniers et ceux de l’est de l’Europe on pourrait également dresser celui qui sépare depuis longtemps l’Europe occidentale de l’Europe centrale, qu’elle soit ou nom membre de l’Union européenne (Suisse, Autriche, République tchèque, Slovaquie, Slovénie).

La Suisse étant l’exemple même de ce que pourrait être avec le temps l’Union européenne, exemple qui néanmoins reste magistralement ignoré et méprisé, les arguments les plus stupides tels la taille du pays étant invoqués pour mettre fin à tout débat.

Enfin comment ne pas songer à la Russie, à ce grand peuple européen systématiquement considéré comme extérieur à l’Europe alors qu’il en est une des composantes majeures, toujours vilipendé par l’immense majorité des politiques et médias dits “occidentaux”, c’est-à-dire alliés d’un pays, les États-Unis qui depuis toujours ont considéré que pour dominer l’Europe il leur fallait la diviser comme l’avait fait de tout temps leur mère, la Grande-Bretagne.

Un mur cette fois autant artificiel qu’idéologique et partisan au profit d’un seul et aux dépens de tous les autres.

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La désunion des Européens est là. Elle est réelle.

Et il est illusoire de croire, même si l’extension de l’OTAN vers l’est de l’Europe a démultiplié celle des États-Unis, que l’Union européenne telle qu’elle est devenue pourra faire des pays d’Europe centrale ou orientale ce qu’elle a pu réaliser à l’Ouest.

Bien au contraire, ce sont désormais les mouvements dits populistes qui gagnent du terrain et se propagent là où on les attendait le moins.

Aussi le rassemblement de l’Europe ne pourra se faire que dans le respect de tous les peuples européens en les laissant libres de gérer les affaires de tous les jours et par conséquent entre égaux et seulement entre égaux dans le cadre d’une large confédération qui prendra en main les seuls pouvoirs régaliens qui font que l’union fait la force.

Alors et alors seulement l’Europe pourra enfin exister pour son propre bonheur et celui du monde.

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Alain Renaud, le 23 novembre 2019.

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Si cet article vous a intéressé, je vous invite à lire mes deux derniers ouvrages :

“ La France, un destin” Editions l’Harmattan

“L’Europe, un destin”, Editions l’Harmattan.

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