Fascinante Macao

Publié le par Alain Renaud

 

 

Lorsque le voyageur, soûlé du capharnaüm de Hong Kong, se décide à franchir les quelque soixante kilomètres qui le séparent de Macao, il songe avec délice aux attraits du jeu et de la fortune vantés par quelques chinois malins aux yeux brillants. 

 

Il ne sait pas encore qu'en moins d'une heure d'hydroglisseur, il aura l'exceptionnel privilège de remonter plus de quatre siècles d'Histoire. 

 

À la monstrueuse mégalopolis, à cette pustule triomphante du capitalisme suspendue au ventre palpitant de l'immense Chine, au spectacle indicible de la fourmilière humaine, va succéder, comme par exorcisme, la douceur surannée d'un monde oublié, un monde d'aventure, d'épopée et de gloire. 

 

Cette ballade enchantée au cours des temps, comment ne pas la ressentir intensément en arpentant ces ruelles pavées inondées de soleil, surplombées des volutes audacieuses d'admirables balcons en fer forgé, en découvrant au hasard de la promenade le buste victorieux de Vasco de Gama ou de Jorge Alvarès, contemplant au recoin de squares paisibles les jeux indifférents des petits Chinois… Que peuvent-ils bien connaître de l'épopée lointaine de ces hommes " aux yeux ronds " qu'ils côtoient tous les jours sans même les regarder, ces enfants de Chine à la mémoire millénaire, images vivantes de l'éternel triomphe de la vie sur la mort, du présent sur le passé ? 

 

Un peu plus loin, au sommet d'un escalier monumental, la flamboyante façade de l'église Saint Paul rappelle aux hommes que les navigateurs portugais avaient voulu bâtir sur ce petit Lisbonne du bout du monde la plus grande cathédrale d'Asie et la première université chrétienne d'Extrême-Orient " pour servir Dieu et Sa Majesté et pour apporter la lumière à ceux qui étaient dans l'obscurité ".

 

Mais la singulière atmosphère de Macao, ce parfum inimitable que l'on y respire, cette lancinante pensée de l'éphémère et du dérisoire, trouve probablement son origine dans le contraste saisissant entre ces immenses villas Renaissance abandonnées, peuplées de lauriers-roses et de ronces aux parfums subtils, ces petites églises blanches ou grises aux noms chantants de Notre-Dame de Fatima, de Saint Domingos, de Saint Lourenço, ce Réal Senado ( le Sénat royal ), quatre fois centenaire d'où l'on peut contempler avec ravissement l'étonnant baroque portugais des vieux bâtiments roses de la vaste Senata Plaza, silencieux vestige d'une civilisation vouée à la beauté, à la richesse et à l'aventure, entre ces obsédants témoignages d'une culture lointaine et proche à la fois et cette foule infinie d'Asiatiques qui semble l'avoir débordé, envahi, supplanté, et que vous rencontrez partout, où que vous puissiez diriger vos pas. 

 

Que font donc tous ces Chinois sur cette terre portugaise, parmi ces Igrejas, ces Palacete, ces Monumentos ?..? 

 

C'est en vain que l'Européen, succombant soudain à la nostalgie de sa lointaine patrie, espère encore, à l'ombre des vieux banians noueux de " la Cité du Nom de Dieu ", le sourire d'un enfant du Douro ou de l'Alentejo. De portugais, seules les couleurs demeurent, fièrement hissées au faîte de la Porta do Cerco, cet impressionnant Arc de Triomphe dédié à la gloire du Portugal, majestueuse sentinelle narguant les Gardes Rouges et leurs chiens policiers à quelques mètres de la frontière. 

 

Les intrépides aventuriers lusitaniens semblent avoir abandonné la place; à moins qu'une coulée de lave ne les ait exterminés à tout jamais, à l'exemple de l'effroyable destin de Pompei, ou que ces doux Chinois au faciès jovial et bon enfant n'aient décidé de s'en débarrasser un beau soir d'été…

 

Pourtant, là-bas, à l'entrée du Lisboa, le fameux casino de Macao sorti tout droit de l'imagination de Dali ou de Jules Verne où se pressent chaque jour des centaines de Chinois de Hong Kong, on peut voir encore un homme joufflu en culotte de cuir, au chapeau noir à pompon rouge, un sifflet à la bouche, s'agiter en tous sens. « Eu sou Português » me lance-t-il fièrement avant de héler un taxi et de m'y engouffrer en quelques secondes. Allons ! Il ne faut pas désespérer : il y a encore au moins un Portugais à Macao ! 

 

Et il me faudra attendre de longues heures avant d'entrevoir, le temps d'un éclair, ses trop rares frères de race égarés au coeur de la lointaine Asie. À moins qu'il ne s'agisse de sœurs, comme celles du couvent de Coloane, l'une des deux petites îles rattachées à la ville par un pont et une route sur digue, partie intégrante du " territoire sous administration portugaise ".

 

Ici des ecclésiastiques payés par Lisbonne apprennent toujours aux petits Chinois les rudiments de la langue de Camoens qui, au cours de sa vie mouvementée, se serait rendu à Macao, ou les péripéties de la Victoire sur les Hollandais dont un monument rappelle l'épopée dans un petit jardin de la ville. 

 

Coloane ou le bout du monde : la façade immaculée de la minuscule église Saint François Xavier, des enfants bruyants heureux de vivre, puis un temple bouddhiste désert, un immense cimetière noyé dans une forêt luxuriante où de temps à autre une croix s'élève parmi les baguettes d'encens, le murmure lointain d'un caboteur longeant l'étroit chenal séparant de quelques mètres la rive de la Chine, un poste de garde désert dont la seule présence défend l'île d'un ennemi invisible et pourtant si proche…

 

Macao, tu nous tiens sous ton charme : de rudes gaillards roulant des barriques de porto sur les quais du vieux port, des galions cossus emplis jusqu'à ras-bord de pierreries, de soie et d'objets précieux, des prêtres armés de la croix et du glaive, assoiffés de conversions, des soldats amoureux d'or, de combats et d'aventures, au service du Roy et du Portugal, des marchands cupides prêts à affronter la furie des océans dans l'espoir de faire fortune…, que d'images de vie et de gloire agitent encore le souvenir de tant d'héroïsme de cette Cité de Dieu battue par les flots boueux et impassibles de la mer de Chine. 

 

Passant, voyageur, poète, toi qui, bien des fois, t'es efforcé en vain de fixer le temps en immobile éternité, n'oublie pas de te rendre dans l'enclave oubliée de Macao. Les quatre cents ans de présence portugaise, point fixe d'un monde plus agité que jamais, te sembleront plus immuables que toute l'Histoire des Hommes. 

 

 

Alain Renaud 

 

            Juillet 1981

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article