L'Europe des États ou l'Europe des peuples ?

Publié le par Alain Renaud

 

Les résultats des dernières élections en Catalogne démontrent, une fois de plus, l'incompréhension entre les peuples et les États.

 

Certains États européens se sont bâtis sur l'adhésion volontaire et libre des peuples qu'ils regroupent, comme la Suisse qui en comporte essentiellement trois, les Allemands, les Français et les Italiens.

 

D'autres ont été façonnés par la domination d'un peuple sur les autres, à l'exemple des Anglais sur les Écossais et les Gallois, ou des Castillans sur les Catalans, les Basques et les Galiciens.

 

Conscients de ce fait et de la fragilité qu'il représentait, les rois d'Espagne se faisaient appeler rois des Espagnes, car ils avaient compris ce qu'était véritablement leur royaume.

 

Dire "les Espagnes" et non "l'Espagne" peut sembler un détail. Ce n'est pas le cas.

 

Lorsque le roi d'Espagne actuel et le gouvernement de ce pays s'adressent aux Catalans, ils ne veulent pas parler à un peuple, parce qu'ils dénient son existence.

Pas un mot de reconnaissance ni de compassion dans leur discours.

 

La royauté a perdu en Catalogne sa dernière crédibilité dans les dernières déclarations de Felipe V, là où son père l'avait renforcé à une époque où la démocratie devait s'instaurer dans ce pays. Elle se comporte en souverain castillan et non en monarque des Espagnes. Tout comme le Président du gouvernement, Mariano Rajoy.

 

¡ España una ! ¡ España grande ! ¡ España libre! ¡ Arriba España ! sont bien sûr des slogans franquistes, mais lorsque le gouvernement de Madrid refuse comme il l'a fait de considérer que l'Espagne est "una nacion de naciones", c'est-à-dire une nation de nations et, par conséquent, d'admettre que la Catalogne est également une nation à part entière au sein de l'État espagnol, il ressuscite une période honnie et précipite les Catalans les plus modérés dans l'affirmation de leur identité et le divorce définitif avec la Castille.

 

Une des problématiques majeures de la question des peuples en Europe qui n'est jamais évoquée, c'est celle de savoir qui est qui et pourquoi, et tant que l'on n'osera pas affronter cette question de face, on risque fort de voir, malheureusement, l'Europe se fragmenter encore davantage qu'elle ne l'est.

 

Ainsi pour ce qui a trait à la Catalogne, qui est Catalan ? 

 

Est-ce que ce sont ceux qui parlent catalan, qui ont une culture catalane, qui sont fiers de leur Histoire, et dont les ancêtres sont Catalans ou est-ce que ce sont ceux qui ne sont pas cela, mais qui habitent et travaillent aujourd'hui en Catalogne ?

 

Lorsque les partisans de l'Unité espagnole s'expriment, comme ceux qui ont défilé à Barcelone pour cette unité ou ceux qui dirigent le mouvement Cuidadanos, ils le font en langue castillane et non en langue catalane, pour la bonne raison qu'ils ne sont pas Catalans dans le premier sens évoqué.

Et ces citoyens d'autres régions d'Espagne ne partagent donc pas la "catalanité" des Catalans et surtout ne veulent surtout pas la partager.

 

Ils ressemblent à ceux qui viennent immigrer au Québec et qui refusent de parler français, de s'intégrer à cette culture et qui, comme en Catalogne, deviennent de plus en plus nombreux au point de rendre les "indigènes" minoritaires dans leur propre pays.

 

Ce non-respect de la culture et, la plupart du temps, de la langue qui y est associée, entraîne une violence qui ne devrait pas avoir lieu et une montée en flèche des populismes que beaucoup réprouvent sans en voir les causes profondes.

 

L'Europe n'est pas l'Amérique. Elle ne s'est pas construite sur l'éradication de peuples existant et par conséquent sur la conquête de territoires devenus vierges de population.

 

En France, avant les Romains et les Francs, il y avait les Gaulois et leurs ancêtres constituent encore la grande majorité de la population, en dépit de l'existence des Basques, des Flamands, des Corses ou des Alsaciens.

 

En Grande-Bretagne, les Celtes Ecossais et Gallois existaient bien avant les Angles et les Saxons et existent toujours, mais ils ne sont plus guère nombreux.

 

En Espagne, les Catalans n'ont peut-être pas envie de suivre le destin des Indiens d'Amérique, c'est-à-dire n'être quasiment plus rien, juste bons à être parqués dans des réserves où les touristes curieux viennent les voir comme des curiosités paléolithiques !

 

Quelle tristesse pour la grande Espagne, qui avait semblé avoir retrouvé sa liberté, son ouverture et sa prospérité après des siècles d'isolement au-delà des Pyrénées, que de ne pas savoir retrouver la diversité qui en fait sa grandeur.

 

Quelle tristesse pour l'Europe de ne plus accepter ce qu'elle est, le continent de "l'unité dans sa diversité". Une Europe depuis 1918 sous l'influence et la tutelle de sa fille qui, par la voix de Jefferson, affirmait dès 1813 « qu'elle gouvernera le monde » et qui veut imposer aux autres sa vision provenant de sa seule Histoire.

 

Mais courage !  " Tout passe, tout lasse, tout casse " et, comme le dit si bien le proverbe chinois, "Ils peuvent tuer toutes les hirondelles, ils n'empêcheront pas la venue du printemps".

 

 

L'avenir de la Catalogne, comme celui de l'Espagne, de la France et de l'Europe est celui du combat entre la diversité et l'uniformité, la liberté et l'esclavage, la démocratie et le despotisme.

 

« Comme la vie est lente

Et comme l'espérance est violente ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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