Schématisation ou caricature de l'Europe ?

Publié le par Alain Renaud

 

 

 

Si l'on voulait schématiser, c'est-à-dire obtenir une vision sans nuance des peuples qui composent l'Europe, tout en grossissant à l'extrême leurs principales facultés, on pourrait dire que la France est un œil, l'Allemagne une oreille, l'Italie une bouche et l'Angleterre un bras.

 

La France est l'œil de l'Europe, l'Allemagne son oreille, l'Italie sa bouche et l'Angleterre son bras.

 

 

La France

 

Quel peuple vit plus à la surface des choses, attache plus d'importance à l'aspect extérieur des êtres et des choses, possède une littérature plus descriptive, des peintures plus remarquables, étudie plus passionnément l'attitude des hommes, a plus inculqué au monde les règles de la bienséance et du bon goût ?

 

Quel peuple, depuis les Grecs de l'antiquité, a plus que les Français eu la sagesse de se réjouir d'être parvenu à vivre en surface, c'est-à-dire d'avoir acquis la philosophie apparemment la plus légère de l'existence, et, en fait, la plus profonde ?

 

Cette faculté de jouir du charme de la conversation ou du délice de la nourriture que l'on ne retrouve qu'en Chine, de s'enthousiasmer comme des enfants par l'effet de quelques impulsions, de réagir aux moindres stimuli de leur épiderme, aux mouvements changeant de leurs passions et de leurs sentiments, cette joie de vivre des enfants d'Astérix n'a-t-elle pas provoqué la jalousie des Germains qui ont su reconnaître à leur voisin un bonheur encore ignoré d'eux. 

Une jalousie qui a été à l'origine du célèbre dicton allemand "Heureux comme Dieu en France" ("Glucklich wie Gott in Frankreich").

 

Cette apparente superficialité des Français, c'est le triomphe de l'œil, c'est-à-dire du regard, de l'observation, de la critique, de la moquerie.

Il s'impose partout : à la Cour de Versailles, à l'Élysée, au Canard enchaîné, à Charlie Hebdo. 

C'est en restant à la surface des choses qu'il reste le plus profond.

C'est "l'esprit français" sublimé par une multitude d'écrivains tels que Voltaire, Chamfort, Jean de La Bruyère ou Tristan Bernard.

 

Comment survivre à des siècles de privation de liberté et de démocratie confisquées par la petite caste constante d'élites au pouvoir, elles-mêmes mises au pas par l'autoritarisme absolu d'un politique, qu'il s'agisse de Louis XIV ou de tous les Présidents de la Ve République qui ont succédé à Charles de Gaulle en prenant bien soin de ne jamais demander son avis au peuple, sans se réfugier dans le seul espace de liberté qui leur reste, celui de l'indépendance  d'esprit ? 

 

Comment échapper à toute absence de responsabilité politique, sinon en se moquant de ses maîtres ?

 

Privés de liberté tout au long de leur histoire depuis la domination de Rome sur la Gaule, les Français se sont vengés en ne cessant de persifler contre leurs maîtres.

Mais, ce faisant, ils ont développé leur capacité d'observation par un talent unique au monde, qu'on le regrette ou qu'on s'en réjouisse.

 

 

L'Allemagne

 

Les Allemands, de leur côté, ne sont pas encore parvenus à jouir de leur état. Leurs regards ne sont pas encore clairs. Ils n'ont toujours pas surmonté leur angoisse, leur histoire souvent douloureuse, leur insécurité due à des frontières mouvantes.

 

Leur raison ne l'emporte pas toujours face à leur passion. Plus que les autres ils écoutent avec inquiétude les pulsions de leurs angoisses et les discours que les autres peuples tiennent sur leur compte.

 

Plus que jamais, ils se réfugient dans leur musique dont ils aiment à se bercer, musique qui touche leur âme encore soucieuse, souvent triste, reflet de la lumière pâle de leur ciel lourd et de l'aridité de leur climat.

 

C'est le "devenir" du peuple allemand qui contribue autant à développer leur sens des sons. 

L'absence de capitale macrocéphale, comme les Français s'en sont bâti une depuis les Capétiens, d'une Cour d'où tout part et tout aboutit, d'un seul territoire, d'une seule ville, autorité de toutes choses, a donné aux Allemands ce goût de la Province et de la solitude dont parle si bien Madame de Staël dans son remarquable ouvrage "De l'Allemagne".

 

Et c'est cet attrait pour la nostalgie, la solitude, la réflexion, le romantisme, qui fait des Allemands un peuple de philosophes et de musiciens, toujours à l'écoute de leurs pensées intimes, de leurs sentiments et de la musique qui accompagne leurs rêveries.

 

L'attention des élites n'est pas centrée sur un seul point, un seul individu, un seul groupe. Elle est diffuse. Partout en Allemagne, des concerts animent le pays. Comme toutes les autres activités culturelles. L'Allemagne "périphérique" n'existe pas. Elle est polycentrique. Le politique, l'économique, le culturel, le médiatique tout comme la musique sont partout et irriguent le corps entier du pays et de tous les Allemands, où qu'ils se trouvent. Si bien que la verticalité si prisée en France laisse place à l'horizontalité et chaque Allemand, où qu'il soit, peut jouir du bonheur d'être en terre féconde, quelle que soit la matière qui l'intéresse.

 

Un privilège réservé en France aux seuls Parisiens et, dans une mesure infiniment moindre, aux habitants des très grandes métropoles, et qu'ils partagent en partie avec la Suisse et les pays scandinaves.

 

 

L'Italie

 

Dire que l'Italien n'a pas d'œil ni d'oreille, ce serait nier ces extraordinaires prodigues que furent Léonard de Vinci, Michel-Ange, Raphaël, Giuseppe Verdi, Gioachino Rossini…dont la liste couvrirait un cahier. Mais, peuple artiste par essence, les Italiens se sont plus que les autres distingués par leurs dons exceptionnels de la parole et de la comédie. "Comediante", "tragedante", qui ne se souvient de l'exclamation d'Arrighi Dante ? 

 

Oui, l'Italien, comédien né, aime à bercer sa vie d'un chant aussi irréel qu'émouvant. Ce n'est pas tellement qu'il joue la comédie, qu'il cherche à tromper ou déguiser sa pensée. C'est bien plutôt qu'il se joue lui-même la comédie.

 

Son goût de l'oratoire, du pompeux, du lyrique, peut alors s'exprimer à loisir.

Le plus grand artiste d'Europe, si ce n'est du monde, trouve dans la parole et dans les gestes qui accompagnent ce bonheur de vivre, cette gaieté qui le caractérise, d'autres fois, le plus souvent au sud du pays, ce sentiment tragique et fataliste qui l'agite.

 

Bien sûr les Français aiment aussi la conversation alors que les Allemands et les nordistes les considèrent comme des bavards tout comme les Italiens.

Mais les Italiens, qui n'ont pas connu la Cour de Versailles et qui n'ont pas le bonheur d'être suspendus aux caprices d'un microcosme tout puissant, n'ont pas ce souci du mot juste, de briller en société, de se faire remarquer à tout prix par son trait d'esprit. Ils veulent juste extérioriser leurs pensées et pouvoir exprimer tous les sentiments qui les assaillent. Par la parole et par le chant. Peut-être gardent-ils quelque mémoire inconsciente de la rhétorique de leurs brillants ancêtres romains ?

 

Il ya un côté enfant chez l'Italien qui le rend impropre à la guerre, mais contribue incroyablement à ses qualités artistiques.

C'est la raison pour laquelle, si les Italiens ont perdu bien davantage de conflits qu'ils n'en ont gagné, ils ont su magnifiquement compenser cette faiblesse par la puissance de leur parole.

 

Vous ne me croyez pas ?

 

Demander aux Italiens ce qu'ils en pensent.

 

Mais prenez bien tout le temps d'écouter leur réponse !

 

 

L'Angleterre

 

Les Anglais ne brillent pas spécifiquement dans le domaine de la peinture ou de l'écriture, même s'ils peuvent se vanter de colosses comme William Shakespeare, si peu anglais, ou de talents incontestables comme William Turner. Ils ne peuvent égaler les Italiens ou même les Français dans la maîtrise de la parole et du son. Une partie non négligeable de leurs musiciens sont des étrangers et aucun ne saurait rivaliser sérieusement avec les chefs-d'œuvre des génies de langue allemande, qu'il s'agisse de Ludwig van Beethoven, de Wolfgang Amadeus Mozart ou de Jean-Sébastien Bach. 

 

Mais il est un domaine ou les Anglais l'emportent irrémédiablement sur les Français, les Allemands et les Italiens, c'est celui de l'action et du pragmatisme.

Ils ne sont pas messianiques et utopistes comme les Français, rêveurs et romantiques comme les Allemands, opportunistes et rusés comme les Italiens. 

 

Ils représentent ce bras de l'Europe qui n'est pas un pur instrument d'exécution, mais la résultante des autres sens, et en particulier de l'œil, de l'oreille et de la parole.

Ce bras n'est aveuglé par aucune prépondérance des autres sens. Il obéit à leur intérêt bien compris, il frappe avec constance lorsqu'il le faut.

Il est l'instrument d'hommes et de femmes politiques, d'économistes, de marins, qui ne perdent jamais de vue le réel, et par conséquent la situation qui est la leur, de la Reine Victoria à Horatio Nelson ou Winston Churchill, d'Adam Smith à John Maynard Keynes.

Il est aussi le fruit de leur constance, de leur ténacité, de leur obstination, de leur persévérance, d'un caractère bien trempé qui s'est manifesté par une politique constante en Europe de domination des mers et de division des puissances politiques du continent pour mieux régner sur le monde.

 

Une politique qui, peut-être temporairement, leur a échappé depuis la Première et surtout Seconde Guerre mondiale, au profit de leur fille, les États-Unis. Les États-Unis qui ont repris sans état d'âme cette politique de division et de domination des États européens, mais sans pour autant avoir la même constance et logique dans l'action.

 

Cette politique n'aurait pu voir le jour sans l'apport de l'économie, domaine où les Anglais triomphent depuis longtemps, là ou les Français, les Allemands et les Italiens ne sont que des élèves appliqués, même si, là encore, ils se sont fait souffler leur prépondérance par les Américains depuis plus d'un demi-siècle.

C'est aussi en ce sens là qu'ils restent davantage anglo-saxons qu'européens.

 

 

Ainsi si la peinture et l'écriture, c'est ce qui se voit, la musique, c'est ce qui s'entend, la parole, c'est ce qui se dit et le bras, c'est ce qui agit, on peut en déduire que l'Europe peut s'appuyer sans crainte pour exister sur la France, l'Allemagne, l'Italie et l'Angleterre, quatre des plus anciens pays du continent.

 

Mais cette complémentarité de qualités exceptionnelles des Français, des Allemands, des Italiens et des Anglais ne pourra, néanmoins, se passer, en dépit de l'homogénéité marquée de leur population, de l'apport des minorités qui les composent, comme les Écossais ou les Basques et des autres peuples ibériques, scandinaves, slaves, etc. qui font toute la richesse de l'Europe.

 

Encore faut-il que les Anglais veuillent bien se servir de la vision des Français, de l'écoute des Allemands et de la parole des Italiens pour agir au profit de tous et non d'eux seuls !

 

Si l'on veut refonder l'Union européenne sur des bases solides, il conviendra de s'en souvenir.

 

 

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