Y a-t-il un peuple français ?

Publié le par Alain Renaud

S'il est un pays qui distingue ce qu'il est de son peuple, c'est bien la France.

 

Les Français sont-ils pour autant un peuple ?

 

Pour parler de la France d'aujourd'hui, il nous faut d'abord revenir à celle d'hier, et, seul un peu de réflexion historique nous permettra de répondre à cette question, a priori iconoclaste.

 

La France a été créée par les rois germaniques qui avaient envahi la Gaule, à la suite des conquérants romains. Auparavant, la France n'existait pas et chacun sait que nos ancêtres lointains ne sont pas des Français, mais des Celtes, que nos premiers envahisseurs romains ont appelé des Gaulois.

Tant et si bien que les Français n'ont pas toujours vécu sous ce nom. Et par conséquent, qu'ils existaient avant d'être Français.

 

L'ironie de l'histoire fait que ce sont les Germains, ceux que les Anglo-Saxons appellent encore « Germans », qui ont créé le nom d'un pays qui ne leur appartient plus !

L'État France fut donc une création de nos voisins et désormais amis allemands (les Allemands étant, comme chacun sait, une tribu germanique du sud). Progressivement ils le scindèrent avec leur propre royaume, réunion dont l'apothéose fut l'empire de Charlemagne.

Durant cette période, les Français n'existaient toujours pas. Ils étaient restés massivement les Gaulois qu'avaient conquis les Romains et les Germains qui s'étaient contentés de prendre le pouvoir en petit nombre.

 

Ce qui change la donne fut le partage, par les petits-fils de Charlemagne, de l'empire en 843, véritable date de création de la France. La division entre ces trois rois germaniques ne fut pas favorable à celui qui récupéra la partie ouest qui allait devenir la France. La zone centrale, la Lotharingie, qui s'étirait de la Hollande à Florence, revint rapidement au roi germanique qui possédait la fraction est de l'ex-empire, correspondant grosso modo à l'ouest de l'Allemagne actuelle.

 

Cette scission allait provoquer des siècles de guerre entre les descendants des rois germaniques de France et ceux d'Allemagne.

 

Mais le peuple qui occupe la partie ouest de cette nouvelle France ? Qui s'en soucie ? Est-il devenu pour autant germanique après être devenu romain. En rien. Il est resté principalement celte, c'est-à-dire gaulois.

A l'époque gauloise, l'immense majorité de la population était celte, à l'exception de quelques ethnies et cultures différenciées, tels les Basques, les Grecs de Marseille ou de Nice ou un certain nombre d'Ibères dans le Sud-Ouest et de Ligures sur la Cote d'Azur d'aujourd'hui.

 

Mais ce qui modifia peu à peu les choses fut les conquêtes progressives de la France sur les territoires incorporés à l'empire germanique. Ces conquêtes, au départ, ne firent que rattacher à la France des peuples qui avaient été incorporés de force à la Germanie, mais qui étaient en fait des Gaulois de culture latine. Ainsi en fut-il des Provençaux dans leur majorité, et plus encore des Bourguignons, des Francs-Comtois ou des Lorrains de langue française.

Là où les choses se compliquèrent, ce fut lorsque les rois de France, puis les révolutionnaires commencèrent à s'attaquer aux territoires dont les peuples étaient restés ou étaient devenus de langue et de culture germanique.

En effet, si l'Est de la France actuelle était occupé par des tribus gauloises au début de la conquête romaine, les Germains les remplacèrent peu à peu à partir du IIIe siècle. Si bien que les Alsaciens et une partie des Lorrains sont majoritairement germaniques depuis cette époque. À cette minorité, on peut rajouter les Flamands de France.

 

C'est ce qui fait que la France a connu, du moins jusqu'au XIXe siècle, une homogénéité de population qui, sans être aussi prépondérante qu'en Allemagne, est nettement supérieure à celle de l'Espagne ou de la Grande-Bretagne.

 

Le déclin démographique produit essentiellement par la saignée de la Première Guerre mondiale et les mouvements migratoires qui s'en sont suivis, en provenance d'Europe, mais surtout d'Afrique à partir de cette période ont remis progressivement en cause cette homogénéité et pose les problèmes que nous affrontons désormais.

 

Si on compare la France à l'Allemagne, on s'aperçoit que la rupture a été encore plus forte au sein de ce pays qui n'a connu aucune conquête étrangère sur le long terme, à l'exception de la présence militaire américaine qui a libéré les Allemands d'un totalitarisme monstrueux. Depuis cette époque, l'Allemagne est également confrontée à des problématiques très importantes d'intégration de populations non germaniques qui, comme dans la majorité des pays de l'Ouest européen, font débat.

 

La conquête de l'Alsace et, dans une moindre mesure, de la Lorraine a posé à la France un véritable défi qui a éclaté au grand jour lorsque l'Allemagne a voulu récupérer cette province germanique en 1870. Les Français, qui, contrairement aux Allemands, avaient inventé le «désir de vivre ensemble » par la voix de Renan opposée à celle de Fichte, ne pouvaient plus s'appuyer sur une langue, une histoire et une culture commune. Il leur fallait pouvoir intégrer des « non-Gaulois ».

 

Après tout, les rois de France avaient bien fait de même avec les Basques, les Corses ou les Flamands. Avec la Révolution, ils allèrent plus loin en décidant de gommer les particularités régionales et les langues qui y étaient attachées. Ainsi, on supprimait les différences, en particulier linguistiques, en se rapprochant de l'exemple allemand, sans en avoir l'homogénéité de population.

 

Devenait Français celui qui parle français. Cette francisation imposée n'a cessé depuis lors, bientôt concurrencée par l'anglicisation.

 

Dans cette optique, les Wallons et les Suisses romands devraient être Français et la Suisse ne pas exister, puisqu'elle est le symbole parfait d'un pays qui repose essentiellement sur trois peuples : les Allemands, les Français et les Italiens.

La domination par la langue comme par l'ethnie, se retrouve donc remise en cause par l'exemple suisse, qui, à lui tout seul, constitue un résumé parfait de ce que pourrait être l'Union européenne : une réunion de peuples présents sur leurs territoires depuis des siècles, unis par la lutte pour leur liberté, sans que, pour autant, l'un d'entre eux ait écrasé les autres, comme on a pu le voir en Espagne, en Grande-Bretagne et, dans une moindre mesure, en France.

Les Suisses reconnaissent l'identité de chacun de leur peuple, car tous se sont unis pour défendre leur « alliance entre égaux scellée par un serment », une alliance qui s'est faite contre l'oppresseur autrichien. Les cantons de langue, de culture, d'ethnie allemandes, françaises et italiennes se sont joints progressivement et volontairement à cette alliance. Ils auraient pu ne pas le faire et restés incorporés à l'Allemagne et à l'Italie morcelées à cette époque et à la France déjà unifiée.

 

Les Suisses romands et italiens sont-ils pour autant des Français et Italien ? Non, bien sûr, car même s'ils partagent avec eux leur origine ethnique, culturelle, linguistique et leur enfance historique ( ils ont été des Gaulois et des Germains ), ils s'en sont séparés volontairement pour se regrouper et s'unir dans une nouvelle nation dans laquelle ils ont établi une démocratie directe inégalée et un respect de l'identité de chacun.

 

 

Ainsi la France, fille de la Gaule, a, au cours de son histoire, incorporé des populations qui étaient germaniques, à l'exemple des Alsaciens, d'une partie des Lorrains et des Flamands, ou davantage marquées par leur latinité comme un certain nombre de Provençaux, d'Occitans, ou par leur germanité comme les Catalans, quand elles n'étaient pas totalement différenciées, à l'image des Basques, alors qu' elle à perdu cette petite minorité que sont les Romands suisses et les Wallons belges.

 

On peut donc dire, sans risquer de se tromper, que les Français sont bien un peuple comme le sont les Allemands, mais qu'ils partagent avec les Italiens, le fait d'avoir absorbé une très faible minorité de peuples non français, pour ne pas dire non gaulois, dans leurs composantes ethniques, culturelles et linguistiques. Une minorité qui les différencie des Espagnols, qui pour une part beaucoup plus importante de leur population, ne sont pas précisément Espagnols, c'est-à-dire Castillans ou Aragonais, puisqu'ils sont Catalans, Basques ou Galiciens.

 

Mais l'histoire a fait que, comme pour la Suisse, ces populations étrangères, ont choisi, ont voulu, dans leur très grande majorité être françaises et l'ont montré magistralement par leur sacrifice et leur fidélité sans faille à leur patrie d'adoption lors des conflits européens et mondiaux à laquelle la France a été confrontée depuis le début du XIXe siècle.

Quel peuple aime autant la France que les Alsaciens !

 

 

Alain Renaud, auteur de La France, un destin, ouvrage qui vient de paraître aux éditions l'Harmattan.    Vous trouverez dans ce livre un développement important de cette question majeure en ces temps d'incertitude, ainsi que bien d'autres thématiques radicalement différentes.

 

 

 

 

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G
On ne peut qu'acquiescer à cette démonstration, qui nous déçoit légèrement car nous pensions, sans trop y réfléchir, tous descendre au moins un peu des Gaulois! Cela dit, il faut bien souligner que cette diversité s'est forgée, avec les siècles et les siècles, en une assez remarquable unité, comme les Français ont su le montrer quand il s'est agi de défendre le territoire, parce que les choses se sont déroulées progressivement et parce que les structures très étatisées, très centralisées n'ont fait - c'est leur seul? avantage... que renforcer cette cohésion. De plus nous risquons, à trop insister sur ces mélanges, à voir se distendre nos liens, car nous oublierons que les composantes françaises étaient proches en matière de croyances, de mentalités. Et qu'elles s'assimilaient assez aisément les unes aux autres. Or l'on sait bien que les choses changent brutalement aujourd'hui et l'on doit exiger que les nouveaux arrivants, en échange du beau cadeau que représente la nationalité française, acceptent de nous ressembler le plus possible en ne gardant que ce que j'appellerais volontiers le bagage mémoriel minimal.
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